Le Grand Accueil - Rungh.org
Lorsque je reçus l’invitation à participer à cette grande rencontre que fut Couleurs Primaires, cet automne, dans la ville de Victoria, en Colombie-Britannique, mon sentiment fut avant tout celui d’une remémoration. France Trépanier, Chris Creighton-Kelly, moi et plusieurs autres étions déjà passés par là, d’une certaine manière. Nous avions connu ces rassemblements, animés du désir de les voir se muer en une solidarité pancanadienne susceptible de contrer les effets de l’exclusion raciale et culturelle dans nos institutions et nos communautés. Il y a de cela plus de deux décennies … Alors que pouvait-on espérer aujourd’hui ?
La posture n’en était pas une de scepticisme à vrai dire, mais plutôt celle d’une attention apportée au temps et à la résolution des conflits qui nous assaillent et nous divisent, nous, les êtres humains. Aux temps qu’il faut pour apprendre non pas à se connaître mais à se « reconnaître » et à agir ensemble. Couleurs Primaires voulait tenter le coup et réactiver ainsi notre aptitude au changement.
Et de changement il fut question. Non pas d’un espoir de changement mais du changement opéré depuis les actions passées, de celui qui pouvait faire de ce rassemblement un tournant, une sorte de catalyseur des présences actives sur le territoire et dans la société canadienne. Ce fut le cas. En grande partie, grâce à nos hôtes du territoire traditionnel des peuples Songhees, Esquimalt, peuples du territoire Lekwungen, dans cette ville qui s’appelle aujourd’hui Victoria, mais aussi grâce aux participants autochtones venus des autres régions qui ont pu donner à cette rencontre tout le sens que l’on pouvait en attendre : une prise de parole ancrée et habilitée, orientée vers l’accueil d’un autre modèle de société.
Il fallait pour cela, en effet, être accueilli de fait et librement par les aînés, ainsi que par les jeunes générations qui, autre aspect très positif de cette rencontre, ont généreusement démontré en cette occasion leur implication et leur volonté de s’ouvrir pour inventer leur propre avenir.
La dimension également « continentale » de cet évènement m’est ainsi apparue, pour ne pas dire qu’elle s’est incarnée joyeusement, et de manière concertée, et avec elle, l’idée « fluide » d’une circulation de l’art et des cultures.
Car c’est bien là que nous nous sommes entendus : pour réitérer et engager nos forces, que ce soit aux plans intellectuel, esthétique, activiste et social, aux plans de la pratique artistique, de sa transmission et de sa diffusion et cela, par-delà les définitions usuelles héritées des pratiques à caractère hégémonique, qui depuis assez longtemps déjà, ce sont accordé le privilège d’occuper l’espace et de produire les concepts. Cette rencontre à grand déploiement, ce Grand Accueil, ce dialogue démultiplié, cet imaginaire rassemblé de la décolonisation, cette diversité décentralisée avaient pour but non pas de réaffirmer des principes, même si cela s’avère toujours nécessaire dans l’action, mais d’inaugurer une nouvelle étape, celle d’un autre Nouveau-Monde.
Couleurs Primaires s’est donné le moyen d’entériner ce qui semble bien être une vision, dans le sens que les Autochtones lui ont toujours donné, celui qui est de nous conduire de manière éclairée vers ce qui s’est déjà manifesté. Un grand accueil en effet.
Fondatrice de la réputée Zab Maboungou/Compagnie Danse Nyata Nyata, artiste-chorégraphe et interprète, professeure de philosophie et auteure, Zab Maboungou s’est distinguée sur tous les fronts de l’action artistique et culturelle. Elle est parvenue à traduire et à implanter grâce à ses œuvres et à son implication dans le développement artistique et culturel, une autre présence et un autre foyer pour l’imaginaire. Sa technique du mouvement, appelée lokéto, inédite, constitue aujourd’hui un modèle du genre. Un parcours unique qui reflète une esthétique d’une grande puissance poétique.