J’ai animé en duo avec la magnifique Zab Maboungou. Sujet en vogue, beaucoup d’énergies allait remplir notre petit local à l’étage. Il fallait s’y rendre par un petit ascenseur activé par une des personnes de l’organisation. Un divan, une table, quelques chaises et un tableau meublaient la pièce pouvant accueillir au maximum une douzaine de personnes. Ce qui fut assurément le cas.
Co-animateur nerveux, j’avais l’intention d’aborder la question de la diversité au Québec sur un ton serein, de présenter des variables ouvertes, positives même pour initier les discussions. Le tableau avec les craies serait utile pour y écrire des mots-clés.
J’introduisis donc les notions de complexité de cette diversité culturelle, des nombreux territoires culturels qui se superposaient et de la nécessité de les parcourir, de faire des allers-retours, d’aller chez l’autre. De mon point de vue de Wendat, et plus largement d’un Amérindien membre d’une des dix Premières Nations au Kébeq – Mig’makw, Wolustuk Malécites, WabanA’kis, Kanien’ke ah :ka (Mohawks), Atikamekw, Innus, Eeyou Itshee, Naskapis, Anishinaabes en plus des Inuit au Nunavik –, les frontières interculturelles - dont ce phénomène grandissant de revitalisation des langues autochtones, la fusion de l’artisanat et de la création expérimentale, les usages coutumiers faisant place aux contes, à la musique, au documentaire, aux marches de transmission et aux installations multimédias in situ - découpent tout un vaste territoire méconnu des urbains. J’étais content d’en parler. C’est pourquoi j’ai décrit une diversité autochtone aux frontières poreuses bien que géographiquement éloignées et malgré bien des préjugés de repli sur soi, c’est-à-dire ouvertes aux allers-retours entre artistes, complicités et métissages artistiques.
Ce fut ma manière « élargie » de mettre la table et de favoriser le plus de témoignages possibles.
Zab Maboungou, avec toute l’énergie de danseuse et joueuse de tambour qu’on lui connaît, fit ressortir avec énergies la situation multiculturelle unique de la métropole qu’est Tiötià :ke (Montréal). Il y a d’abord son lot de cosmopolitisme d’artistes migrants aux origines de partout sur Yandiäwish, la Grande Tortue (européennes, africaines, sud-américaines, asiatiques et océaniennes). Y prévaut de toute évidence l’historique césure francophone/anglophone même dans les institutions et les lieux culturels. Non seulement ces grandes trames relativisaient les seuls rapports des institutions québécoises avec nous les Amérindiens, mais elles introduisaient dans le débat de multiples problèmes, sinon des inégalités allant de la non intégration jusqu’aux questions d’appropriation culturelle, en passant par l’inadéquation des programmes de soutien des divers Conseil des Arts.
Rapidement, la petite salle devint surchauffée mais aux propos passionnants. Des gens allaient et venaient dans le cadre de la porte. Sans doute plus de participants se pointèrent sans pouvoir trouver place.
On a donc manqué de temps. On aurait pu avoir deux sessions tant les passions et les points de vue fusèrent. Mais l’« Indian Time » a prévalu dans la mesure où on a étiré jusqu’à la limite la cédule qui nous fut imparti tant les témoignages, je pense ici à celui de l’artiste d’origine colombienne « Frita Kalho », se succédaient.
Guy Sioui Durand
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Wendat (Huron), Guy Sioui Durand est sociologue (PH.D.), théoricien, commissaire indépendant, critique d’art et conférencier-performeur (Harangue performée). Son regard sur l’art autochtone et l’art actuel met l’accent sur le ré-ensauvagement de nos imaginaires et le renouvellement des relations.