L’apparition d’un arc-en-ciel est fabuleuse. Rayons de soleil et les gouttes de pluie, ciel et nuages, territoires et regards humains se font propices pour un Aiminanu, qui signifie en langue innue-aimun, une « conversation est en cours ».
Cette séduction par la trop belle appellation : « la couleur des mots », a pris place à micro-échelle lors du colloque Couleurs primaires. À l’étage dans une petite salle, j’ai pourtant eu le sentiment de m’y retrouver sur le dos de Yandiäwish, la grande tortue, avec les présences de l’autochtonie, de la francophonie, des nomadismes et du cosmopolitisme pour une prise de paroles littéraires et surtout de création poétique in situ.
C’est ce qui m’a enchanté de l’atelier. La Palestinienne Yara El Ghabdan, auteure de l’Ombre de l’olivier. Le parfum du Nous, irradiait déjà. Rodney Saint-Éloi, l’éditeur de Mémoire d’encrier avait apporté en primeur la réédition du recueil Aimititau-Parlons Nous ! Son origine haïtienne l’autorisa à lancer dans les échanges toute l’humanité du mot « Nègre » afin d’exprimer sa fascination pour la poétique de chacun des mots qui fondent l’oralité devenue littératures.
C’est à ce moment que, Wendat d’un mode enneigé, j’ai eu cette vision de l’arc-en-ciel sur l’île des grands corbeaux noirs, figures du Trickster filou de nos contes amérindiens sur la Côte Ouest du Pacifique, Le Nord sauvage d’un Sioui, le Sud noir d’un Saint-Eloi et l’Est sulfureux du Moyen-Orient d’El Ghabdan convergeaient. S’y ajouterait l’étonnante sensibilité francophile métissée de l’Océanie avec l’ajout de Léuli Mazyar Luna’i Essharaghi, membre de la Nation des Samoans Kulin et aux origines persanes.
C’est comme si les quatre directions, ensemble, furent sous l’emprise de la couleur des mots. Vraiment, ce qui n’aurait pu n’être qu’une discussion allait plutôt faire surgir en deux phases, ces arômes de sensualités, ces fragrances d’imaginaires, que comporte l’art.
Autour de la petite table, Rodney Saint-Éloi a donné le ton, de sa voix calme, pour insister sur cette passion que déclenche certains mots et qui appartient aux terroirs où ils s’enracinent. Léuli Mazyar Luna’i Essaraghi, expliqua, lui aussi de sa voix colorée, sa posture marginale et nomade d’un Samoa francophile par choix existentiel dans une Océanie anglicisée, qui l’amène aux quatre coins du monde. L’échange fut enrichi par les énoncés aux origines ensoleillées et cosmopolites de Yara.
Une prise de paroles performatives pour vivre cette « couleur des mots », s’en est suivie. À l’invitation de Rodney de lire un passage de nos livres, nous nous sommes métamorphosés. Pour une, Yara El Ghabdan est devenue une Wendat pour dire Rêves et Révolte, un extrait de mes échanges avec le poète québécois Yves Boisvert publié dans Aimititau. Parlons-nous. Je me suis glissé symboliquement sous sa chevelure de Palestinienne pour chuchoter ce bel extrait de son roman donnant à humer cette odeur de café d’un matin imaginaire.
C’est ainsi que je me remémore l’atelier La couleur des mots. Quelque part, il a condensé l’esprit puissant, cette attitude de décloisonnement, voulu par l’ensemble du colloque Couleurs Primaires.
Guy Sioui Durand
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Wendat (Huron), Guy Sioui Durand est sociologue (PH.D.), théoricien, commissaire indépendant, critique d’art et conférencier-performeur (Harangue performée). Son regard sur l’art autochtone et l’art actuel met l’accent sur le ré-ensauvagement de nos imaginaires et le renouvellement des relations.