Une île éphémère. Quatre femmes hispanophones qui ne se connaissaient pas a priori sont réunies en un territoire nouveau et originaire à la fois. Elles se retrouvent au milieu d’une marée de personnes, d’émotions et de perceptions en mouvement, en transformation continue. Dans un tel contexte, la rencontre aurait pu être vécue comme une situation périlleuse. Mais c’est plutôt un climat propice à la confidence qui s’est installé entre nous lors de la séance Arte LatinX.
Nous nous sommes « situées » à partir des expériences migratoires de nos pratiques artistiques ; un ensemble d’expressions qui se déplacent entre les arts visuels, le théâtre, la littérature, l’éducation et l’activisme. On a commencé par raconter notre « atterrissage » au pays, et plus exactement dans le milieu artistique professionnel. On a rapidement identifié ce stéréotype que nous n’avons pas choisi et qui nous colle à la peau, un stéréotype qui cache le potentiel que nous avons d’incarner des rôles multiples, mouvants et complexes. On a également remarqué que nos bagages culturels deviennent de barrières pour accéder aux instances professionnelles équitables. On a appris que le manque de connaissances de la population d’accueil sur nos contextes d’origine produit des ruptures irréparables aux trajectoires que nous avions déjà construites avant d’arriver au Canada. Nous étions d’accord que dans le domaine professionnel, le dialogue entre cultures n’est pas horizontal. Devant ces conditions, la réorientation radicale et le « repartir à zéro » s’imposent comme les seules options possibles pour assurer la survie de nos pratiques artistiques, tout en manœuvrant, de façon consciente ou non, au moyen d’actions de résistance à l’assimilation.
C’est ainsi que nous arrivons à assumer notre « extranéité », non pas comme une identité, mais comme un point de départ, un outil pour entrer en action et en relation avec le milieu de l’art. Cette attitude nous permet d’inventer certaines stratégies afin de développer de nouveaux processus de création et de diffusion :
Lina de Guevara est actrice, directrice et professeure de théâtre qui aborde l’éducation à partir d’une perspective interculturelle. Elle développe les espaces nécessaires pour la création et le partage de récits issus des communautés migrantes. Carmen Aguirre est une comédienne qui surmonte les limites qu’impose la hiérarchie de culturelle dans le milieu professionnel. Elle le fait au moyen de l’écriture et de l’incarnation de ses propres récits. La plus jeune d’entre nous est Janet Romero-Leiva, dont le travail artistique naît et se déploie à Toronto. Très attentive à son entourage et sa communauté, Janet développe une pratique engagée et transversale en peinture et en écriture. À partir d’un intérêt pour les langages visuels des muralistes latino-américains, elle met en relation des problématiques liées à l’origine, à l’immigration et aux identités du genre à travers d’une perspective queer. De mon côté, ma pratique en peinture est morte à Montréal, mais elle renaît à partir de fictions interdisciplinaires. Ce sont des créatures autoréférentielles où je reconfigure certaines identités immuables qui habitent les discours institutionnels, ces stéréotypes qui renforcent une perception de « l’autre » aussi altérée que la scission d’un continent en deux.
Helena Martin Franco, (Carthagène, Colombie) vit et travaille à Montréal depuis 1998. Titulaire d’une maîtrise en arts visuels et médiatiques de l’UQAM, sa pratique féministe explore le métissage entre procédés artistiques, ainsi que l’hybridation entre techniques traditionnelles et nouvelles technologies. En collaboration avec les collectifs de diffusion d’arts visuels La Redhada (Colombie) et l’Araignée (Québec) elle crée, coordonne et commissairie des expositions afin de favoriser la rencontre et l’échange des pratiques artistiques, notamment entre le Canada et la Colombie.