image sélectionnée: Anna Binta Diallo au Rassemblement en territoire Lekwungen en 2017, crédit photo: Kirk Schwartz
J’ai eu le privilège d’animer, avec l’artiste poète du peuple wendat au Québec, Louis-Karl Picard-Sioui, une séance au rassemblement Primary Colours/Couleurs primaires (PC/Cp) et dont le mandat était de générer une conversation explorant les enjeux liés aux questions de la diversité linguistique au Canada. Le titre quelque peu provocateur de notre session, «La langue de l’autre», a suscité des réactions chargées d'émotion. Nous avons commencé en essayant de répondre aux questions suivantes : Qui est l’Autre et quelle serait sa langue? Nous étions une dizaine d’artistes qui avions beaucoup à dire sur ce sujet. Les francophones en situation minoritaires se sentent relégués à la périphérie par les Québécois, mais les Québécois partagent parfois ce même sentiment face à la France. Plusieurs intervenants soulignaient qu’ils parlaient une des deux langues des colonisateurs du Canada. Puis, il a été question du bilinguisme au Canada, ensuite de la francophonie en milieu minoritaire aux prises avec l’assimilation et enfin de l’importance des langues autochtones.
Judicieuse, stimulante, fructueuse, notre discussion suscita beaucoup d’émotions très variées liées à ces thèmes. Pourquoi? Parce que nous tous avions vécu des moments difficiles où notre langue nous avait confrontés à une réalité : nous étions parfois l’Autre. Nous avions des perspectives différentes liées à nos expériences linguistiques, mais nous partagions des liens communs. Que ce soit pour les francophones hors Québec, pour les Premières Nations (qui souhaitent revitaliser et préserver leurs langues maternelles) ou pour les Québécois, tous craignent que leur identité linguistique et culturelle soit menacée ou incomprise par l’Autre.
Deux autres grandes questions discutées étaient les langues autochtones et les défis du financement. Plusieurs artistes autochtones ne parlent pas l’une des deux langues officielles; ils se sentent rejetés de la scène artistique du Canada. Comment une artiste qui veut chanter dans sa langue maternelle comme l’inuktitut peut-elle se faire financer au Québec, si le Conseil des Arts et des lettres du Québec financent seulement des projets francophones, par exemple? En parlant de cette nouvelle ‘double solitude’, nous avons également évoqué des problèmes de racisme systémique, des infrastructures politiques qui cherchent à effacer la langue, l’identité et la culture de certains. Plusieurs artistes se sentent menacés, incompris ou solitaires et il y a donc des fissures dans la cohésion de certaines communautés artistiques. Nous avons tenté de proposer des solutions à un problème si complexe. Parmi les solutions avancées : privilégier la collaboration entre artistes et communautés; viser la transparence entre nous et l’Autre; rester à l’écoute de nos confrères/sœurs artistes de toutes les régions du Canada pour éviter ce sentiment de solitude et d’incompréhension. Finalement cette rencontre a été pressentie comme étant le début d’une conversation qu’il faut à tout prix poursuivre. Nous avons conclu qu’il fallait faire rayonner l’information afin de faciliter le dialogue entre tous ces artistes venant de partout au pays. Tous ont exprimé le souhait que ce genre d’initiative soit répétée et ce, dans un avenir rapproché pour que nous continuions de nous parler afin de mieux comprendre la langue de l’Autre.
Anna Binta Diallo est une artiste visuelle qui se penche sur la mémoire et la nostalgie pour créer des récits inattendus autour de l'identité. Née au Sénégal et élevée au Manitoba, elle vit actuellement à Montréal. Son travail a été exposé à la Maison des Artistes Francophones, à la Art Gallery of Southwestern Manitoba, à la Art Gallery of Alberta, au MOCA Tapei et a fait l'objet de nombreuses publications. En 2016, Diallo présente palimpseste au MAI(Montréal), une œuvre qui marie collages, peintures, gravures, dessins et installations audiovisuelles.