Je suis originaire d’Haïti, pays d’Amérique, au cœur des convulsions du monde. Je participe à une histoire qui sort tout droit de l’Afrique. Les Haïtiens ont été d’abord une terre d’Indien. Puisque le mot Ayiti est un mot taïno qui veut dire terre haute ou terre de montagnes. Le génocide des Indiens orchestrés savamment par la colonisation va faire en sorte que des peuples d’Afrique vont opérer sur le négrier la traversée afin de poursuivre l’entreprise coloniale. Quand je dis Haïti, j’évoque ces suites de peuplement, de résistance et de violences. Ce sont des histoires horribles, toutes ces histoires qui font de moi un être humain.
Je suis donc la première grande étape de l’esclave. Sur la route de l’esclave, Haïti représente le plus grand comptoir en Amérique. Mon histoire a commencé là. C’est peut-être la raison qui me pousse à sillonner l’Afrique. À développer en moi ce désir d’Afrique. Question de retourner à la terre-mère. Question de retrouver mon corps perdu. Mon âme. Et de me plonger au commencement de moi-même. La colonisation m’a dépossédé de moi-même et de cette histoire. C’est pourquoi il est pour moi une nécessité d’opérer en moi le retour vers ce lieu mythique pour me fondre dans ces paysages, me guérir de la violence d’une histoire qui a divisé le monde en deux camps : le camp des vainqueurs et le camp des vaincus.
D’Afrique/Out of Africa. Le thème ressemble à un film exotique. Je le contourne et je me mets à entrer dans mon histoire. L’histoire qui me constitue. Et du plus loin que je remonte dans ma mémoire je remarque la présence de l’Afrique. Dans mes gestes de marcheur. Dans mes mots d’écrivain. Dans mes rêves d’Homme. L’Afrique demeure un horizon indépassable. Une nécessité ontologique.
Je suis un être divisé, donc habité par des imaginaires différents, souvent même paradoxaux. C’est pourquoi je vis en mêlant ma voix à celle d’autres auteurs, comme par exemple, pour rester dans le continent, Léopold Sédard Senghor, Mongo Beti, Mariama Bâ, Chicaya Utamsi, Achille Mbembe, Felwine Sarr, Chimamanda Adichie, Abdourahman waberi, Leonora Miano, Soulemane Bachir Diagne, Tierno Monénembo, Chinua Achébé, Cheick Anta Diop, Wole Soyinka.
Je voudrais que vous aussi vous mêliez vos voix à ces voix, et vous allez ainsi découvrir cet appel de l’Afrique qui ne peut que grandir en vous l’humanité.
Je vous laisse avec ces fragments de poèmes qui nous ramènent au vieux continent.
Nostalgie – Carl Brouard
Tambour
quand tu résonnes
mon âme hurle vers l’Afrique.
Tantôt je rêve d’une brousse immense
baignée de lune,
où s’échevèlent de suantes nudités.
Tantôt d’une case immonde,
où je savoure du sang dans des crânes humains
Untitled poem by Aimé Césaire
Haïti où la négritude se mit debout
Pour la première fois et dit qu’elle
croyait à son humanité.
Trahison – Léon Laleau
Ce cœur obsédant qui ne correspond
Pas avec mon langage et mes coutumes,
Et sur lequel mordent comme un crampon,
Des sentiments d’emprunt et des coutumes
D’Europe, sentez-vous cette souffrance
Et ce désespoir à nul autre égal
D’apprivoiser, avec des mots de France,
Ce cœur qui m’est venu du Sénégal?
Poète, essayiste et éditeur, né en Haïti, Rodney Saint-Éloi est l’auteur d’une douzaine de livres de poésie. Son œuvre, à l’écoute du monde, est une longue traversée des villes et des visages. Passeur de textes, de formes et de mémoires, il fonde à Montréal en 2003 les éditions Mémoire d’encrier. En 2012, il a reçu le prestigieux Prix Charles Biddle qui « souligne son apport exceptionnel au développement des arts et de la culture au Québec.» En 2015, il a été reçu comme membre de l'Académie des lettres du Québec. Ses derniers recueils de poésie : Je suis la fille du baobab brûlé (Mémoire d’encrier, 2015), Moi tombée, moi levée (Le Noroit, 2016).