Afin d’aborder ces deux questions, soit le rôle que jouent les artistes autochtones dans la communauté et la façon dont ce rôle influence la formation, j’ai retracé les bases de notre écosystème de formation actuel dans le secteur des arts autochtones jusqu’à la conscience autochtone qui a émergé de façon fulgurante dans les années 1960. Cette période de renaissance culturelle a jeté les bases et les éléments fondamentaux qui appuient les artistes établis et émergents du milieu actuel. Au cours des années 1960, les artistes visuels autochtones, tels que Bill Reid, Daphne Odjig, Norval Morrisseau et Alex Janvier, ont fait progresser leur travail en s’engageant dans le milieu artistique professionnel. Ce faisant, ils ont ouvert la voie à toute la communauté et au capital culturel, qui à leur tour les ont appuyés au même titre qu’ils leur ont donné la vision nécessaire pour tracer le chemin qu’allait suivre la génération suivante. L’imagination, la création et le partage avec les artistes émergents prennent naturellement forme dans un esprit de durabilité qui permet la transmission intergénérationnelle des connaissances culturelles et utilise la force des artistes établis comme plateforme pour les artistes émergents à venir.
Pendant cette période de transformation sociale, les Autochtones vivant sur le territoire appelé le Canada ont obtenu le droit de vote, de se rassembler, de célébrer leur identité culturelle, de partager leur savoir, de participer aux pratiques culturelles et cérémonielles, en plus de librement parler leurs langues respectives. Les politiques assimilatrices de longue date sont restées secrètement ancrées dans les pratiques et la législation en matière d’éducation et de protection sociale. Peu de moyens existaient pour permettre aux Autochtones de s’exprimer et de favoriser l’autodétermination selon leur identité et leur réalité. Le réseau de communication des Autochtones leur permettait de discuter de ces problématiques, mais il n’y avait pas de conversation entre eux et les allochtones canadiens. L’emprise manifeste sur la vie des personnes autochtones, tant sur la réserve qu’en dehors, s’est affaiblie, et les érudits, les intellectuels et les agents gouvernementaux allochtones ont cru que l’avenir des Premiers Peuples en tant qu’entités dynamiques et en tant que peuples distincts allait à sa perte. Au début des années 1960 au Canada, le besoin des Autochtones de montrer aux Canadiens qu’ils existaient ici et dans le présent, ainsi que leur perception de l’existence autochtone au sein du Canada, a connu une montée fulgurante.
Un point fort de cette montée s’est produit à l’Expo 67, qui mettait en vedette le Pavillon des Indiens du Canada.
Voici un extrait d’une émission de la CBC diffusée le 4 août 1967. Au premier coup d’œil, on y aperçoit tous les symboles inoffensifs des Indiens d’Amérique du Nord : un tipi, un mât totémique, des tambours qui résonnent et des chants. Toutefois, à l’intérieur, le pavillon des Indiens du Canada de l’Expo 67 raconte une histoire bien différente : la pauvreté, les traités bafoués, l’imposition de la religion et l’expérience horrible qu’ont vécu les enfants dans les pensionnats. Alors qu’une jeune hôtesse effectue une visite guidée, un journaliste d’Expodition remarque un fond d’amertume dans les expositions du pavillon. « Expodition: Expo 67’s Indians of Canada », Archives numériques de la CBC, http://www.cbc.ca/archives/discover/programs/e/expodition/expoditionjuly-7-1967
Le pavillon comprenait des œuvres d’artistes tels que Tony et Henry Hunt (mât totémique), George Clutesi, Noel Wuttunee, Gerald Tailfeathers, Ross Woods, Alex Janvier, Tom Hill, Norval Morrisseau, Francis Kagige, Jean-Marie Gros-Louis, Duke Redbird et Robert Davidson. Ils étaient des pionniers et des visionnaires. Ces artistes se sont rassemblés dans ce pavillon et y ont planté les semences d’un mouvement essentiel qui a réveillé la conscience autochtone et qui a sensibilisé le Canada et le reste de la planète aux réalités autochtones. Des liens se sont également tissés entre les artistes autochtones et les communautés auxquels ils appartiennent partout au Canada, ce qui a amené le gouvernement canadien à voir les cultures autochtones sous un nouveau jour. Daphne Odjig et les artistes de son époque ont contribué à façonner l’histoire du Canada en faisant connaître les enjeux politiques et les voix des Premières Nations au grand public. Au cours de cette même époque, Norval Morrisseau avait déferlé sur la scène artistique torontoise. Son succès a poussé d’autres artistes à puiser dans leurs origines autochtones comme source d’inspiration et à développer une pratique représentative de leur culture.
« Les portes se sont ouvertes pour nous », a déclaré Odjig dans une entrevue accordée à la CBC, pour décrire le sentiment éprouvé par l’artiste autochtone à ses débuts. « Nous avions donc une raison de parler aux gens de qui nous sommes et de ce que nous savons faire. »
En 1973, Jackson Beardy, Alex Janvier et Daphne Odjig ont présenté une exposition de groupe à la Winnipeg Art Gallery intitulée Treaty Numbers 23, 287, 1171. Les chiffres représentaient ceux de leurs communautés respectives lors de la signature des traités entre ces dernières et le gouvernement canadien.
L’exposition était révolutionnaire. Pour la première fois dans le monde artistique grand public, l’art autochtone était qualifié autrement que primitif ou archaïque. Suite à leur succès, ils ont décidé de créer un groupe d’artistes autochtones qui diffuserait de l’information à propos de l’art autochtone et qui apporterait son soutien aux artistes autochtones émergents. Daphne et Jackson en étaient les principaux fondateurs. Jackson Beardy, Eddy Cobiness, Alex Janvier, Norval Morrisseau, Carl Ray et Joe Sanchez se sont rassemblés dans la résidence de Daphne Odjig à Winnipeg et ont discuté des préoccupations communes et des possibilités pour l’avenir. Le groupe Professional National Indian Artists Inc., subventionné par le ministère des Affaires indiennes, est né de cette rencontre. Bill Reid, de la nation Haïda, n’a pas signalé sa participation officielle sur-le-champ, mais a pris part à des expositions de groupe par la suite. La galerie de Winnipeg est devenue un point de convergence pour les artistes autochtones de partout au Canada et a également accueilli certains artistes des États-Unis.
Ces artistes travaillaient sur divers supports. Ils se sont fait connaître initialement pour leurs œuvres sur toile. Pour Norval Morrisseau, il était essentiel de représenter la cosmologie Anichinabée dans ses œuvres afin que les prochaines générations soient exposées à des symboles qui leur permettent d’accéder à leurs récits traditionnels, à leurs légendes et à leurs racines. Dapnhe Odjig avait une intention similaire. Elle était heureuse que les institutions artistiques dominantes aient accueilli son travail, mais elle a choisi d’inclure des images et des récits à travers ses évolutions artistiques afin que la jeunesse autochtone y reconnaisse ses racines uniques. Dans ces récits ancestraux sont enracinés une langue, une vision du monde, un mode de vie et un savoir. Lorsque nous racontons ces récits, nous donnons vie à un cadre de référence culturel et à une vision du monde envisagée par les ancêtres qui les ont créés. Ces récits représentent de diverses façons la compréhension autochtone de l’existence en tant qu’être humain dans un environnement naturel particulier. Avant Morrisseau, le monde ne connaissait pas la riche cosmologie des légendes et des traditions Anichinabées. Lorsque ses créations visuelles ont commencé à percer le milieu de l’art au début des années 1960, elles étaient interprétées sous l’angle de l’art primitif. Morrisseau a été critiqué par sa propre communauté pour avoir rendu accessibles des récits et des savoirs au-delà des forêts Anichinabées. Ses contemporains et lui-même étaient des pionniers qui ont ouvert le dialogue entre l’expression artistique autochtone et le grand public.
Au début des années 1970, les pratiques artistiques autochtones tendaient vers la recherche d’une infrastructure qui pourrait élargir le champ d’expressions contemporaines et offrir un appui à l’émergence de nouveaux artistes autochtones. Entre les années 1967 et 1974, les premières institutions culturelles autochtones modernes ont été mises sur pied pour offrir des occasions de partage, d’évolution et de relations intergénérationnelles, en utilisant l’expérience vécue, les connaissances, les images, les légendes et les récits des Premières Nations du Canada. Au début des années 1970, des écoles d’arts de la scène et d’arts visuels ont vu le jour, ainsi que des associations pour la promotion des artistes et des formes d’art autochtones. Ces initiatives ont été menées par des artistes établis qui se sont servis de leur visibilité pour plaider en faveur d’une croissance accrue. Ils ne se préoccupaient pas seulement de leur propre réputation, mais ils ont compris qu’ils font partie d’un système plus grand qu’eux-mêmes et, de ce fait, qu’ils ont une responsabilité envers ce système. Bien que la plupart des institutions artistiques canadiennes aient été reconnues et établies par la création de conseils des arts nationaux et provinciaux au cours des années 1960, les institutions artistiques autochtones ont dû exercer des pressions à leurs débuts dans les années 1970, alors qu’aucun établissement artistique ne les avait vues venir ou ne leur avait fait de place, en termes de budgets et d’autres allocations pratiques.
Au début des années 1970, James Buller ouvrait la Native Theatre School à Toronto, alors que Tom Peltier fondait la Manitou Arts Foundation, responsable de la création de l’école de Schriber Island sur l’île Manitoulin. Le Woodlands Cultural Centre a ouvert ses portes en 1972, à la fermeture du pensionnat autochtone de Brandford et Ontario. La Ojibwe Cultural Foundation a été mise sur pied à M’Chigeeng afin de fournir des ressources, un espace pour que les Aînés puissent partager et propager les diverses formes d’art Anichinabé. Toutes deux avaient pour fonction de servir de galeries d’art, de musées et de plateforme pour le talent autochtone émergent, ainsi que d’importantes ressources culturelles pour les créateurs autochtones en spectacle. Il y a eu plusieurs autres initiatives à travers le pays, dont la relation interconnectée et la dynamique entre les artistes établis et ceux qui émergeaient étaient communes.
L’Institut technique des Premières Nations (First Nations Technical Institute) a été créé en 1985 grâce à un partenariat unique avec les paliers de gouvernement et le Tyendinaga Mohawk Council. Il s’agit d’une institution d’éducation supérieure dont la vocation est la formation dans le domaine des arts, des médias et des domaines connexes, dans une perspective culturelle autochtone fondée sur ses connaissances. À la même époque, Spirit Song prenait forme à Vancouver sous la direction de Margot Kane selon un modèle similaire de formation en arts de la scène axée sur l’expérience, inspiré du savoir des Premières Nations de l’Ouest. L’organisme autochtone Native Earth for the Performing Arts a pris racine à Toronto en 1982 grâce à Bunny Sicard et Denis Lacroix, qui l’ont créé dans le but de mettre en lumière les œuvres d’artistes autochtones émergents, surtout ceux de la Native Theatre School. Ses fondateurs envisageaient Native Earth comme un lieu de convergence imprégné des principes et des valeurs culturelles autochtones qui favoriseraient une fusion du travail des artistes spécialistes du mouvement, du récit et des arts visuels connexes à la production, à la musique et au théâtre. La prestation y était perçue comme la célébration de l’exploration créatrice grâce à laquelle les artistes avaient l’occasion de créer et de faire évoluer leur pratique, tout en formant la relève.
Debajehmujig Theatre Group a été fondée par Shirley Cheechoo en 1984 à M’Chigeeng, puis a été relocalisée à Wikwemikong. À la création du Debajehmujig Theatre, en 1984, l’artiste fondatrice Shirley Cheechoo possédait déjà une identité artistique solide forgée lors de ses étés passés à la Fondation Manitou Arts. Son école comportait un programme artistique multidisciplinaire qui permettait aux étudiants autochtones d’explorer les fondements de leurs cultures et les pratiques traditionnelles par l’expression artistique. L’aspect autochtone de l’école rayonnait grâce à la conception de ses programmes et à sa méthodologie. Elle était située sur l’île de Manitoulin. La majeure partie du travail d’exploration et d’enseignement était effectuée à l’extérieur. Elle ne comportait pas de pédagogie ou de cursus obligatoires. Les étudiants étaient autonomes et pouvaient consulter un mentor au besoin, au fil de leurs explorations. Le fonctionnement de l’école s’appuyait plutôt sur les principes autochtones d’enseignement et d’apprentissage. L’exploration de la création était supervisée par des artistes autochtones établis, soit Norval Morrisseau, Daphne Odjig, Carl Beam et Alex Genviere. Leurs disciples se sont démarqués au sein du milieu artistique canadien et ont atteint une renommée internationale en tant qu’artistes autochtones. On compte parmi eux Leland Bell, James Mishibinijima, Blake Debassige, David Miigwans et Randy Trudeau.
De 1984 à 1988, ces nouveaux organismes axés sur les projets ont exploré l’expression créative au moyen de l’écriture théâtrale et la dramaturgie. La Indigenous Performing Arts s’est d’abord fait connaître sous le nom de Indigenous People’s Theatre Alliance, puis sous le nom de Native Theatre Alliance, avant d’adopter son appellation actuelle. Cet organisme a permis d’accéder à des services de formation en arts de la scène, en théâtre et en production nomade qui n’étaient pas offerts au sein de l’Association for Native Visual and Performing Arts à ses débuts. Cette dernière avait été fondée à Toronto dans le but de propulser les artistes autochtones à l’avant-plan de la scène artistique. Plusieurs de ces derniers ont d’ailleurs connu un succès dans le secteur des arts visuels. Les créateurs et les directeurs reconnus du théâtre grand public se sont ajoutés à l’équipe au fil des saisons dans un rôle de mentorat. Ainsi, la tradition d’écriture a commencé à prendre forme tout en permettant aux récits de prendre vie, tant dans les communautés que dans les régions urbaines.
Pendant les années 1980, chaque production devenait un atelier sur le théâtre et un exercice d’écriture : les artistes et les constituants des communautés y ont appris les rôles qui allaient former la structure et les connexions de la grande communauté du Théâtre National. Le monde vivant du théâtre était un lieu de rassemblement idéal pour les artistes autochtones de toutes disciplines désirant partager leur sensibilité créatrice et leur processus synergétique dans un cadre non hiérarchisé axé sur le partage. Les artistes autochtones sont des artistes multidisciplinaires de nature. La pratique elle-même s’appuie sur l’engagement avec l’élan créatif fondé à partir de l’identité des créateurs dans une fusion synergétique. Ceci fait contraste au modèle hiérarchique Occidental où l’accomplissement de l’excellence individuelle dans un sous-domaine artistique donné dans un genre particulier, défini par le costume, l’éclairage, la mise en scène, la danse, le jeu d’acteur, la musique et le théâtre de masque. Tous ces éléments sont dissociés de l’auteur, des acteurs, des concepteurs et de la direction.
Sur le plan créatif, à l’instar de Native Earth, Debajehmujig était un endroit où les jeunes écrivains, peintres, conteurs, danseurs et musiciens autochtones de la relève pouvaient mettre en pratique et perfectionner leurs compétences en travaillant ensemble dans un contexte communautaire autochtone. Le mentorat externe par des professionnels établis a permis de structurer la création et le développement collaboratif des artistes. Ils exploraient un nouveau médium grâce à une sensibilité culturelle qui leur était propre. Ces artistes apprenaient la langue usuelle du média, ses structures, et apprenaient à s’en servir pour s’exprimer. Il s’en est suivi l’émergence de pratiques de création et de narration autochtones qui trouvent leurs racines dans les rôles et les responsabilités que les conteurs et les artistes avaient envers leurs communautés avant l’arrivée des Européens.
Le cadre pour les artistes autochtones émergents était unique à Debajehmujig lorsqu’il a commencé parce qu’il provenait de M’Chigeeng, et plus tard de la réserve non cédée de Wikwemikong. Il était essentiel que la résolution de problèmes et l’acquisition de ressources inhérentes à chaque production fonctionnent dans ce contexte parallèle pour que des productions professionnelles soient produites et présentées dans les communautés urbaines et rurales des réserves. Le travail créatif s’est déroulé dans un contexte de la culture autochtone et les modes de vie communautaires.
Les artistes autochtones ont trouvé en Native Earth et en d’autres organismes en milieu urbain un point de rassemblement autour duquel ils ont pu faire évoluer leur récit et les concrétiser sur scène. Les racines et la sensibilité de leur métacontexte général étaient beaucoup plus européennes, créant ainsi des lieux de valeurs et de modes de vie autochtones dans un environnement autrement étranger. L’œuvre pionnière d’Ondinnok, fondée par John Blondin, Yves Sioui Durand et Catherine Joncas en 1985, est unique au développement de la formation en arts autochtones du Québec. Membre de la Nation Wendat, Yves Sioui Durand est un acteur, un comédien, un dramaturge, un réalisateur et un cinéaste. Depuis 1984, avec ses collègues, il crée des œuvres théâtrales uniques au Québec. Elles sont fondées sur la recherche d’un théâtre véritablement autochtone enraciné dans les mythes et l’histoire des Premières Nations au Québec et ailleurs dans le monde. Le théâtre est devenu le support de sa cérémonie personnelle et de son accomplissement en tant que dramaturge. Yves, comme beaucoup de ses contemporains, envisage une reconstruction culturelle autochtone par l’art. Il conçoit l’artiste comme un pont vivant entre les traditions exprimées par le rituel ancien et la nouvelle identité des Premières Nations. Créateur d’envergure et influenceur ancré au cœur de l’émergence du théâtre autochtone au pays, il a pavé la voie pour toute une génération d’artistes et de créateurs autochtones.
Mon théâtre cherche à offrir un accès au monde imaginaire de mon peuple qui a été plongé dans la noirceur, mais qui survit en nous. Je crée pour un public allochtone, mais aussi pour un public autochtone qui a été arraché à son passé. – Yves Sioui Durand
Au début des années 1990, les premiers programmes de formation proposaient un cycle saisonnier de 6 à 12 semaines, puis ont fait place à des programmes approfondis de plus longue durée. On compte le Full Circle Ensemble de Margot Kane, le centre de formation pour les écrivains autochtones Enokwin, de programme de formation Debajehmujig’s Aboriginal Arts Animator Training, le Centre for Indigenous Theatre (anciennement appelé la Native Theatre School) et la Saskatchewan Native Theatre Company de Saskatoon parmi les groupes de théâtre comportant un mandat dédié à la formation adaptée pour les artistes autochtones professionnels afin de les préparer à une carrière à l’échelle nationale et internationale dans le milieu des arts. Tous les programmes de formation ont été conçus et développés pour le travail exploratoire d’artistes autochtones dans les années 1970 et 1980.
Il est possible d’observer la ligne évolutive du développement des infrastructures artistiques autochtones qui ont émergé du « courant » autochtone des années 1960. Ce courant a surtout pris forme en milieu urbain. Le mentorat et le tutorat qui ont eu lieu dans les communautés avant l’émergence de ce courant en ont été les éléments précurseurs et méconnus, mais aussi ce qui a permis à ce dernier de se faire connaître du grand public. Norval Morrisseau a développé sa pratique initiale à partir du temps qu’il a passé sur l’eau avec son oncle dans le nord-ouest de l’Ontario. Daphne Odjig a suivi les traces de son grand-père et de son père, tous deux peintres et sculpteurs. Les enseignants des grands-parents de notre génération ont vu les possibilités qu’offrait l’expression artistique à leur peuple.
Les premiers visionnaires qui ont formé les artistes des années 1960 ont transmis leur savoir avec la conviction que leurs enseignements allaient perdurer. Ce sont les artistes autochtones qui ont répondu à l’appel et qui ont tenté de comprendre et de porter avec eux les savoirs culturels, d’abord à travers les arts visuels, puis au moyen des différents supports utilisés aujourd’hui. Il est crucial de comprendre que dans ces années formatrices, les moyens de communication étaient peu nombreux en comparaison aux ressources actuelles. Les artistes autochtones disposaient de peu de moyens de collaborer, de faire avancer, d’explorer, de créer et de partager.
Le rôle des artistes dans les communautés autochtones est non seulement de vivre et de réfléchir sur l’expérience de l’existence autochtone au sein du Canada, mais aussi d’explorer leur riche héritage et la cosmologie de leur culture respective. Il s’agit de la compréhension d’une interconnectivité qui ne peut être vécue de la même façon de l’extérieur. De ce fait, la population canadienne a éprouvé du mal à en appuyer le fondement et la direction, qui ont été d’abord écartés avant de recevoir un accueil plus réceptif.
Le travail de réflexion et d’expression de la pratique provient de deux visions distinctes du même monde encore aujourd’hui. Chacun donne à l’œuvre son sens propre, en fonction de son héritage culturel et de son parcours personnel. L’un est enraciné dans les communautés allochtones par un ensemble de valeurs donné et l’autre dans les communautés autochtones partout au pays par un système de valeurs différent. Ce que chacun déduit de ses observations et souvent très différent. L’incidence sur la formation est liée aux répercussions étendues ressenties par les artistes autochtones et leurs enseignants.
C’est le travail des artistes professionnels et leur mentorat qui alimentent nos programmes de formation et soutiennent l’émergence de nouvelles voix autochtones à travers le Canada. Leur stabilité et leur disponibilité sont essentielles à l’élaboration d’œuvres novatrices et porteuses d’un message de grande qualité qui guideront les programmes de formation partout au pays. À l’heure actuelle, nous en sommes à un point critique où nous devons reconnaître que les arts autochtones sont une forme complète en soi et qu’ils exigent la particularité culturelle, les pratiques et les processus qui leur permettront d’atteindre leur plein potentiel, sans interruption ou interférence d’un courant dominant bien intentionné qui veut collaborer souvent en prenant les devants.
Il faut comprendre qu’au niveau national, les artistes autochtones ont déjà leurs propres méthodes qui enseigneront de nouvelles approches aux communautés autochtones et allochtones. Ces approches mettent le respect et les identités de l’équipe de création, des individus et de la collectivité au cœur des processus et des sujets de leur création. Les arts autochtones sont fondés sur un modèle différent d’excellence artistique. Ce modèle reflète les valeurs communautaires, les langues et les modes de vie qui trouvent leur origine dans leur cosmologie et leur compréhension du monde. Les artistes autochtones en création font partie d’un continuum dynamique qui s’adapte, change et exprime constamment l’expérience vécue d’être autochtone dans le présent. Ils apportent toute leur expérience et leur patrihéritage culturel. Ce sont tous ces éléments, enracinés au cœur de leur appartenance autochtone, qui forment la base de nos programmes d’enseignement pour les étudiants.
Joahnna Berti obtient son diplôme de l’université de Queen en psychologie avec mention en 1984.Elle travaille ensuite dans l’administration des arts au LimelightDinnerTheatre à Toronto en 1986 et rejoint The Second City à Toronto en 1987. En 1989, elle entame des études au Georgian Bay Institute for Neuro LinguisticProgramming et ouvre un cabinet privé à Toronto de 1990 à 1992 spécialisé dans le soutien psychologique en PNL aux jeunes homosexuels et aux jeunes hommes victimes d’abus sexuels. En 1993, elle se qualifie en tant que formatrice principale par son travail au centre communautaire pour les jeunes WassaNaabin à Wikwemikong, au centre familial Wikwemikong, aux services à l’enfance et à la famille Kina Gbezhgomi, au centre de santé Wikwemikong et au conseil d’éducation Wikwemikong. Dans chaque organisme, elle offre des services administratifs, la rédaction de propositions et de documents de politique et de procédure, à la demande de la Direction. Elle se joint à la Troupe de théâtre Debajehmujig à l’automne 1993.Ses premiers pas se font dans l’administration des arts, le marketing et la sensibilisation à la communauté. Elle crée ensuite une troupe de théâtre d’improvisation avec les jeunes membres de la compagnie à Debajehmujig pendant l’été 1994.
La Best Medicine Troupe devient alors une équipe de formation en improvisation et d’éducation artistique qui travaille au sein des communautés des Premières Nations du Canada et crée des spectacles sur mesure pour les organismes des Premières Nations lors de rassemblements, de conférences et de consultations communautaires. Le programme se répand dans tout le Nord, établissant une pratique dans les communautés centrales du Nord, à Thunder Bay, Sault Lookout, Red Lake, Sault Ste Marie, Sudbury et North Bay.La troupe accueille des stagiaires à compter de 1997, ce qui lui permet de développer et d’offrir un programme complet de trois ans en éducation artistique, en formation professionnelle communautaire et en création originale pour les artistes autochtones émergents.
DebajehmujigOutreach travaille depuis avec les communautés du Nord, de l’île Manitoulin à l’Arctique, par cycles de trois ans, en faisant progresser les jeunes et les artistes émergents, en soutenant le développement des infrastructures artistiques locales et en militant pour un soutien durable aux artistes locaux.
De plus, elle crée la formation Baby Clown dans le cadre du programme de formation des animateurs artistiques à Debajehmujig en 2008. Elle travaille avec John Turner pour dispenser la formation de clown à Moosonee-Moose Factory aux jeunes et jeunes adultes de la côte de la baie James.Enfin, elle termine sa formation et effectue un stage au MCCP, en complétant le Boot Camp et le Neo Bouffant, puis Teaching Perspectives en 2012.
Elle continue à travailler avec les Conteurs de Debajehmujig, en soutenant le développement de programmes de formation et de pratiques artistiques de performance basées sur le territoire et la communauté, en employant des animateurs artistiques pour faciliter la cohésion et le développement de la communauté.
Image de bannière: photo par Felix Hossel. cette photo a été prise à la pointe sud-est de l’île Manitoulin et a été sélectionnée parce que le paysage est représentatif de nombreuses régions du nord de l’Ontario. L'image du hibou a été choisie parce qu'on nous apprend que les hiboux sont des messagers entre le monde des esprits et le monde physique. Les hiboux représentent donc nos ancêtres et ceux qui nous ont précédés et ont ouvert la voie aux opportunités que nous avons maintenant - contexte fourni par Joahnna Berti.