Cette séance de discussion a d’abord été l’occasion d’une rencontre avec une autre cinéaste canadienne musulmane, Nilufer Rahman. Pour préparer cette session ensemble, nous avons fait connaissance et pris conscience de nos différences de parcours et d’expériences à la source de notre travail de création en arts médiatiques. Nilufer est née et a grandi à Winnipeg de parents du Bangladesh et moi, je suis née en France de parents originaire d’Algérie. Cette richesse de point de vue nous a permis d’alimenter la discussion de groupe durant la séance. Nous avons demandé à chacun et chacune des personnes présentes ce qui les avaient poussés à venir à cette rencontre pour bien saisir les questions ou les motivations suscitées par le thème des écrans musulmans.
Dès le départ, plusieurs éléments se sont dégagés : la curiosité ou la méconnaissance vis-à-vis l’islam, trop souvent présenté à travers des images négatives ou émotionnellement très chargés, la représentation de la femme musulmane assez limitée (sous le contrôle des hommes, peu de visibilité…), une idée homogène de l’islam, et peu de connaissance d’œuvres audio-visuelles d’artistes canadiens musulmans.
La parole libérée dans un espace privilégié
Parmi les propos échangés, une participante a témoigné de ce qu’elle vit elle-même face aux amalgames courants qui sont véhiculés dans la société : être identifiée comme musulmane quand on ne l’est pas. Dans son cas, ses parents sont venus d’Iran mais appartiennent à un groupe culturel dont la religion n’est pas l’islam. Cela a orienté nos échanges à travers le type d’œuvres documentaires ou cinématographiques qui ont été réalisées au Canada et la manière dont sont abordées les multiples facettes des personnes de culture et/ou de confession musulmane.
Nilufer en présentant deux de ses court-métrages a ouvert la discussion sur le travail des femmes cinéastes musulmanes au Canada au sein même de leurs communautés religieuses. Partie d’une pratique au sein d’une communauté musulmane réunie autour du lieu de culte, la mosquée, Nilufer explore les enjeux qui la traverse. Après avoir grandi dans une communauté ouverte où femmes et hommes priaient ensemble, elle voit cette mosquée subir l’influence très conservatrice influencé par le Moyen-Orient comme l’Arabie Saoudite. On saisit l’importance que des femmes artistes apportent un regard critique mais constructif pour contrebalancer les tendances de repli sur soi identitaire et d’homogénéité d’une pratique religieuse qui peut subir des influences conservatrices, dominées par les hommes.
À partir de mon travail de recherche et d’exploration documentaire sur la diversité des femmes se rattachant à l’islam au Canada, les échanges ont porté sur l’importance d’élargie le regard sur la place des pratiques réformistes mais aussi des personnes non pratiquantes mais revendiquant une réappropriation d’un islam ouvert sur le monde.
Il y a sans aucun doute un travail d’exploration à faire sur ces multiples facettes liées à la présence dans la population, de personnes pratiquantes et non pratiquantes et d’une ethnie culturelle à une autre. Les pratiques sont aussi influencées par l’appartenance culturelle, l’éducation et l’influence des valeurs canadiennes au sein des familles de culture musulmane.
Cette session a permis de mettre en lumière une forme de double obstacle aux femmes artistes musulmanes au Canada, comme Nilufer, moi-même et d’autres présentes à Couleurs Primaires mais aussi à travers le pays : être artiste n’est pas un choix facile à assumer face à une réprobation familiale qui peut-être vive. De plus, que le regard de l’artiste se porte sur sa communauté musulmane et culturelle ou sur la société canadienne telle qu’elle voit l’islam, ça reste un domaine qui peine à dépasser des préjugés et des positions fermées.
Comment dépasser ça? En créant des expériences d’art médiatique immersives et en explorant les collaborations. Pour faire un parallèle lié aux rencontres durant la session et les 4 jours de Couleurs primaires à Victoria, les artistes autochtones ont beaucoup à nous apprendre car pour eux aussi, explorer les enjeux au sein de leurs communautés ou à partir de l’extérieur, soulèvent des réactions et parfois des incompréhensions sur l’œuvre artistique qui en découle.
Saïda Ouchaou-Ozarowski vit à Vancouver. Elle signe plusieurs documentaires, Pluri'elles, Une langue aux mille visages : le français au Canada, la série web-docu La vie en rose et plus récemment Demain, nous parlerons tous chinois. Saisir le réel et les enjeux de société, avec des thèmes qui touchent aux mouvements de population, aux identités multiples et à la condition de la femme, c’est une raison d’être pour Saïda qui n’a pas dit son dernier mot…avec l’aide d’une caméra.