Contexte :
Le but de ce rapport est de fournir une vue d’ensemble des lieux et des espaces existants consacrés à la production et à la présentation des arts autochtones au Canada. À l’origine, il était prévu de mettre l’accent sur les organismes artistiques autochtones sans but lucratif disposant d’un lieu. Cependant, il est rapidement devenu évident que le nombre places de ce genre au Canada est trop minime pour fournir un échantillon représentatif et pour en faire l’analyse. Par conséquent, la définition a été élargie pour inclure les organismes culturels autochtones qui n’ont peut-être pas de mandat artistique professionnel, mais qui ont l’espace ou le lieu nécessaire pour appuyer la création ou la présentation d’une programmation artistique autochtone.
Méthodes et démarche :
L’information recueillie pour le tableau (c.-à-d. les détails sur les locaux, les budgets annuels et les mandats) provient de recherches en ligne, notamment des sites Web des organismes, des listes des organismes de bienfaisance de l’Agence du revenu du Canada et des listes des bénéficiaires des subventions des conseils des arts. À quelques occasions, des courriels ou des appels téléphoniques de suivi ont été envoyés directement à l’organisation ou à un organisme de financement afin de clarifier les renseignements recueillis en ligne.
Parmi les rapports de références examinés, mentionnons : le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada : appels à l’action (2015); Figuring-the-Plural, de Mina Para Matlon, Ingrid Van Maastricht et Kailyn Wittig Menguc (en anglais, 2014); Socio-Economic Impacts of Aboriginal Cultural Industries par KTA INC (en anglais, 2008); Comprendre les arts autochtones au Canada aujourd’hui : analyse de la connaissance et de la documentation par France Trépanier et Chris Creighton-Kelly (2011).
L’identification des organismes et les observations ont été faites grâce à des recherches en ligne ainsi qu’à mes propres connaissances, expériences et emplois, qui incluent mon expérience en tant qu’artiste et administratrice du domaine des arts, ainsi qu’à mon expérience vécue en tant que personne autochtone (ascendance anishinabée et européenne, Killarney‑Shebahonaning) vivant au Canada.
Aux fins du présent rapport, les organisations autochtones sont définies comme des organisations qui sont gouvernées et dirigées par un nombre majoritaire de membres du conseil d’administration et/ou du personnel qui sont autochtones. Pour la portée de ce rapport, il n’a pas été possible de vérifier l’ascendance de ces personnes. Ainsi, les organisations présentées sont celles qui sont connues ou considérées comme étant autochtones par la communauté autochtone.
Il est important de noter que, malgré les recommandations répétées des consultants autochtones auprès de Patrimoine canadien et d’autres organismes de financement au fil des ans, il n’existe toujours pas de « centre d’information » ou de registre national consacré aux secteurs artistiques et culturels autochtones au Canada. Bien qu’il y ait eu de solides rapports qualitatifs, les organismes de financement et les programmes doivent composer avec un manque d’information qui entrave leur efficacité. L’information statistique recueillie par le biais de sources grand public comme l’AANC, Patrimoine canadien ou CADAC fait appel à des paramètres qui ne reflètent pas les visions du monde autochtones, ni l’histoire du génocide culturel autochtone au Canada (tel que défini par la Commission de vérité et réconciliation). Une telle information permettrait aux organismes de financement et aux autres organismes de prendre des décisions et d’élaborer des programmes mieux adaptés et plus responsables. D’un point de vue pratique et immédiat, une étude plus approfondie des espaces et lieux de diffusion autochtones existants serait très utile pour les artistes autochtones, qui expriment souvent le désir de faire des tournées dans d’autres communautés des Premières nations et à l’extérieur de leur propre territoire.
La recherche effectuée dans le cadre du présent rapport ne comprend pas d’information sur les organismes du Québec, car elle fera l’objet d’un rapport distinct. Elle n’inclut pas non plus les centres d’amitié autochtones de l’Ontario ni les pow-wow au Canada, ce qui exigerait une portée et une capacité beaucoup plus vastes. Enfin, elle n’inclut pas les espaces autochtones qui ont pour fonctions la guérison, les pratiques cérémonielles ou les rituels, bien que celles-ci fassent partie inhérente des espaces culturels et artistiques.
Remarques sur les visions du monde :
Par souci de clarté, le présent rapport et le tableau ci-joint utilisent des catégorisations et un langage provenant d’une taxonomie dominante et d’une vision du monde des arts, telle que l’utilisation des termes « arts professionnels » et « formation artistique ». J’ai légèrement élargi certaines des catégories de financement les plus courantes afin de mieux tenir compte des visions du monde et des réalités autochtones (c.-à-d. en tenant compte de la revitalisation culturelle comme mandat). On peut lire à l’article 13 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada : Appels à l’action que « [n]ous demandons au gouvernement fédéral de reconnaître que les droits des Autochtones comprennent les droits linguistiques autochtones ». C’est pourquoi nous avons inclus les arts du langage dans les disciplines artistiques.
Analyse et observations :
L’impression la plus marquante du processus de collecte d’information pour ce rapport est le manque général d’espaces artistiques et culturels gérés par des Autochtones comparativement aux espaces non autochtones au Canada. Les arts et la culture des peuples originaux de cette terre sont uniques à cette terre et en sont issus. Pourtant, il est surprenant que cela ne soit pas célébré ou présenté comme tel. Au contraire, les espaces artistiques et culturels non autochtones et les sites nationaux comme les musées et les galeries contribuent souvent au vol et à la séquestration de la culture et des objets autochtones, tout en perpétuant une fausse histoire des peuples de ces terres.
Pour tenter de changer le ton d’un discours de carence, ce qui est souvent le cas lorsqu’on parle des réalités autochtones, à une philosophie d’autonomie et d’action, il est important de reconnaître et d’observer que l’incroyable résilience culturelle des peuples autochtones est tout aussi remarquable face à ce manque de présence nationale; l’existence d’un espace culturel dans ce pays, au sens propre ou figuré, est phénoménale étant donné le génocide culturel désormais reconnu et prouvé par la Commission de vérité et réconciliation. Beaucoup de gens se sont battus pour ces espaces au risque de subir de graves préjudices personnels et d’être punis par l’État. Il a fallu attendre 1950 pour que le gouvernement fédéral abroge les lois qui interdisaient aux peuples autochtones de se rassembler en groupes ou de pratiquer certaines formes d’expression artistique comme le chant et la danse.
Un des constats les plus frappants de cette préface est le manque criant d’espaces artistiques et culturels autochtones dans les provinces maritimes. À l’exception du Membertou Heritage Park, qui a pour vocation d’être un organisme culturel, il n’y a aucun organisme sans but lucratif composé d’artistes professionnels autochtones dans la région. Membertou est également le seul organisme au tableau qui ne fait état d’aucun financement fédéral. Le manque d’infrastructures dévouées aux arts et d’espaces matériels dans les provinces maritimes reflète potentiellement la plus ancienne histoire de présence et d’oppression coloniale au pays.
Les centres culturels représentent le pourcentage le plus élevé d’organisations ayant des espaces matériels et disposant d’un budget d’exploitation annuel globalement plus élevé, ainsi que de sources de revenus plus diversifiées. Les seules exceptions à cette situation sont l’Ojibwe Cultural Foundation et le Woodland Cultural Centre, dont les revenus sont effectivement représentatifs des organismes artistiques professionnels autochtones. La plupart des centres culturels sont situés dans les réserves et ont un mandat de préservation culturelle (musées, objets et archives historiques). L’analyse subséquente de ces espaces devrait s’appuyer sur les recommandations à propos des musées du rapport de la Commission de vérité et réconciliation pour définir les responsabilités des organismes de financement à l’égard de ces appels à l’action. Elles devraient aussi veiller à ce que ces centres culturels disposent des ressources nécessaires pour assurer l’autodétermination des récits et des objets de leur patrimoine culturel.
De l’échantillon analysé, les organismes à vocation artistique ont le pourcentage le plus élevé de financement public à privé. Même si la situation s’améliore légèrement avec la CVR et les nouveaux organismes philanthropiques comme le Cercle, il y a encore très peu de contributions de bienfaisance à l’échelle nationale qui parviennent aux organismes autochtones. Cependant, certains ignorent que cette situation peut constituer un obstacle à l’accès au financement public qui stipule souvent un certain ratio de financement public/privé déterminé par le conseil. Les centres culturels qui disposent d’installations locatives, en particulier dans les régions touristiques très achalandées, génèrent d’autres revenus importants dans leurs activités commerciales.
Urban Shaman est la seule galerie d’art sans but lucratif dévouée aux arts contemporains autochtones qui a été relevée dans l’analyse de l’information. Bien que nombre de centres culturels disposent de salles d’expositions, à l’exception du Haida Gwaii Museum, les sites Web des organismes à l’étude ne précisent pas s’ils emploient des commissaires professionnels pour ces espaces. En tenant compte du portrait actuel de la profession commissariale ainsi que le besoin grandissant de commissaires autochtones, nous supposons que la plupart de ces centres n’en emploient pas.
Bien que la plupart des organismes offrent des possibilités de formation culturelle ou communautaire et des ateliers, seulement cinq organismes de l’échantillon recueilli ont un mandat principal de formation artistique professionnelle. Compte tenu de l’histoire des pensionnats autochtones et de la constance des relations tendues, de la méfiance et de l’expérience traumatisante des peuples autochtones dans le système scolaire ordinaire, on ne saurait surestimer l’importance des espaces désignés pour la formation artistique autochtone et la signification qu’elle revêt. La sécurité culturelle est un facteur majeur dans l’accès des peuples autochtones à l’éducation, à la formation et aux services. Avec l’avènement des recommandations de la CVR, cette transformation et cette compréhension des espaces culturellement sécuritaires ont déjà commencé à se concrétiser dans les milieux de recherche comme les universités et le système de santé, mais il semble y avoir un retard dans cette compréhension dans les infrastructures, programmes, planification et financement artistiques. La sécurité et les protocoles culturels autochtones doivent être pris en compte dans tous les espaces et programmes artistiques et culturels, et non seulement comme un complément lorsque des fonds supplémentaires ou désignés sont disponibles.
Seulement trois des organismes ont dressé le profil des résidences d’artistes dans leur mandat. Les résidences sont une source importante de développement et de croissance pour tout artiste, mais elles doivent être culturellement sûres et refléter les valeurs autochtones dans l’espace si les peuples autochtones tentent d’y accéder. En plus des interprétations conventionnelles des espaces de résidence artistique, de nombreux artistes autochtones vivant en milieu urbain qui sont disloqués de leurs terres et de leurs espaces traditionnels font des résidences dans leurs communautés ancestrales, mais ne sont pas considérés comme tels par les modèles et programmes de financement.
Bien entendu, ces pages ne reflètent pas l’abondance de la création artistique autochtone et l’engagement des peuples autochtones dans les communautés. Les milieux communautaires et familiaux étaient traditionnellement les lieux de transmission du savoir, de la culture, de la langue et des arts. De nombreux artistes travaillent à la restauration de ces espaces qui ont été ciblés et presque détruits par les pensionnats. Il y a aussi un certain nombre de collectifs autochtones très novateurs dans le pays qui travaillent entre ces espaces et les institutions. Les organismes de financement peuvent collaborer financièrement avec ces groupes grâce au financement de projets, mais ils ne sont pas admissibles au financement opérationnel. Pour l’instant, ces groupes choisissent de se gouverner eux-mêmes de leur propre chef et ne seront pas limités par les structures de gouvernance imposées par l’État et les exigences d’admissibilité. Voici quelques exemples récents de tels collectifs : le O’Kaadenigan Weengusk Collective (Festival O'demin Geezis), le Onaman Collective, le 007 Collective, le TRIBE Collective et The Bush Gallery.
Sara Roque est écrivaine, cinéaste et activiste. Elle a travaillé sur plusieurs projets artistiques au Canada et à l’étranger. Elle a également été agente des arts autochtones au Conseil des arts de l’Ontario, où elle a travaillé pendant une décennie comme mentor auprès d’artistes, en plus de contribuer à l’élaboration de programmes et de ressources novateurs avec des artistes et des communautés autochtones. Elle est une Anichinabekwe de descendance mixte, issue de la communauté de Shebahonaning (connue sous le nom colonial de Killarney, en Ontario), et elle habite actuellement à Toronto.
Image de bannière: fournie par Sara Roque